Mourir avant de mourir

Je ne connais aucun maître spirituel qui ait dit que la porte qui mène à la vie soit large ou confortable. La Vie elle-même est spacieuse et pleine, mais la porte -comme Jésus a dit- est étroite.

À proprement parler, elle est si étroite, que seulement elle peut être traversée par celui qui est prêt à mourir à sa petite identité de l'ego.

Peut être quelqu'un se demandera pourquoi il doit en être ainsi, mais la raison semble claire: la Vie n'est pas le "prix" pour un ego qui a bien rempli ses devoirs, mais notre véritable identité. Ce n'est pas quelque chose que nous avons, mais ce que nous sommes. Or, pour l'expérimenter comme notre identité la plus profonde et pouvoir nous vivre à partir d'elle, nous devons mourir à l'erreur de croire que nous sommes "quelqu'un de séparé", un je (moi) individuel et autonome.

Se croire quelqu'un c'est le plus grand "péché" de l'être humain et la source de toute ignorance et souffrance. Ce qui surgit de là ne peut être qu’égo centration, individualisme et confrontation. Il ne peut pas en être autrement, car la première croyance du je(moi) est la séparativité: "Je suis quelqu'un de séparé, qui dois m'affirmer à moi-même et trouver ce dont j'ai besoin -et en dehors de moi- pour réussir mon bonheur ou plénitude". C'est la manière de s'exprimer du je (moi).

Et c'est à cette croyance que nous devons mourir. Sinon, il n'est pas possible "de traverser la porte" de la Vie. Même si, comme des je(s) séparés, nous croyons être près de Dieu.

Il s'agit de mourir à cette croyance, pour "naître" à qui nous sommes vraiment. En fait, ce qui est en jeu, c'est un changement radical dans la perception de notre identité. Passer de croire que je suis le je (moi) avec lequel je me suis identifié tout au long de mon existence, à reconnaître que je suis la Vie, une qui s'exprime, temporairement, sous cette forme. Sans aucun doute, il s'agit d'une "porte étroite", d'une expérience de "mort" à ce que nous ne sommes pas pour que ce que nous sommes puisse vivre.

Et ceci est, selon Jésus, le salut, c'est à dire la plénitude. Parce que sa réponse partait justement de cette question: "N'y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés?". Le piège se trouvait dans la question elle-même, en supposant qu'il s’agissait de sauver le je (moi). Mais la réalité est bien différente: il ne s'agit pas de sauver le je(moi), mais de se libérer du je.

La porte est "étroite" simplement à cause de notre résistance. De manière aussi inconsciente qu'intense, nous nous accrochons au je(moi) et nous nous défendons, comme si nous y risquions notre vie..., parce qu'auparavant nous nous sommes déjà identifié avec lui. Le personnage du rêve ne veut pas mourir, parce qu'il se croit absolument réel.

Et parce que cette mort ne va pas pas sans douleur: le je(moi) a du mal en mourant à ses attachements, ses gratifications, ses besoins, ses attentes. Cela explique pourquoi, quand il se sent frustré, des sensations désagréables apparaissent et il met en route des différents mécanismes de défense.

Cependant, tant qu'il ne "meurt", il n'est pas possible de s'éveiller : la porte de la Vie reste fermée. Et quand nous faisons des tentatives pour la traverser, au je(moi) lui semble, non seulement étroite, mais "mortelle". C'est pourquoi, nous devons persévérer dans la pratique: calmer notre esprit, pratiquer le silence, venir au présent, prendre du recul par rapport à l'ego et ses messages, apprendre à vivre avec la douleur de la frustration - sachant que cette douleur acceptée et cette grande amertume sont en train d'ouvrir la "porte" pour que notre véritable identité vive et nous familiarisent avec notre identité la plus profonde, celle que nous ne connaitrons jamais à travers un processus intellectuel, mais seulement dans la mesure où nous la sommes. C'est la connaissance non duelle, ou connaissance par identité: nous connaissons quelque chose parce que nous le sommes.

Et justement parce que nous mourons à la croyance d'être un je séparé, le chemin s'ouvre, après la porte, une nouvelle perception et une nouvelle façon de vivre, caractérisées par la sagesse et la compassion.

En s'arrêtant de nous identifier avec l'ego, nous arrivons à découvrir que tous les êtres sont une seule et unique réalité. Par conséquent, rien de ce qui existe n'est étranger à moi: je vis envers l' autre exactement la même chose que je vivrais envers moi-même.
Comment saurai-je alors, que j'ai "passé par la porte"? Quand je sentirai les autres comme je me sens moi-même, car il n'y aura plus un je(moi) qui se croit séparé.

Il n'y a pas d'autre chemin: la compassion n'est possible que si on a brisé la barrière de la séparation. Cette barrière derrière laquelle se défend l'ego n'est autre que la même "porte étroite", le passage où le je(moi) «meurt», parce que nous nous sommes reconnus en notre Identité profonde, qui ne connaît ni naissance ni mort. Qui est Vie et Salut.


Enrique Martínez Lozano
Traducteur: María Ortega

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