Le silence à l’écoute de soi.
Une disposition intérieure.
« J’ai soif ! ».
On peut entendre ce cri dans le brouhaha d’un repas. On peut entendre ce cri tout en pensant à autre chose et donner de l’eau à son voisin tout en poursuivant ses propres pensées.
« J’ai soif ! »
Et si ce cri était plus profond ? Et si ce cri disait plus qu’un simple besoin d’eau ? Puis-je l’entendre dans l’agitation du repas, dans l’agitation intérieure de toutes mes pensées, mues par mon propre centre d’intérêt ? Comment ce cri peut-il résonner en moi, si je suis centrée sur moi-même et pleine d’autres choses ? Pour qu’il y ait de l’écho, il faut de l’espace, du vide, de la nudité. Une pièce remplie d’objets ne résonne pas. Une pièce nue résonne. Pour laisser une parole résonner, il faut de l’espace. Pour écouter l’autre, entendre son cri, sa parole, ce qu’il veut me dire, ce qu’il a besoin de me dire, pour entendre sa soif, j’ai besoin de commencer par faire de l’espace en moi. Quand une personne m’arrête dans la rue pour me demander son chemin, je ne suis pas tout de suite disponible pour entendre sa question. Je suis d’abord bousculée, car sa question vient déranger le cours de mes pensées, ce qui déclenche en même temps une certaine colère ! Je ne suis prête à entendre sa question que lorsque j’ai interrompu le cours de mes pensées pour me tourner entièrement vers l’autre et pour laisser place à sa question. J’ai alors de l’espace pour entendre son besoin. Et comme ça prend un peu de temps, je fais souvent répéter la question !! Il en est de même – et bien plus - dans l’écoute de l’autre. Pour entendre l’autre, j’ai besoin de commencer par faire de la place en moi ; faire le vide en moi pour laisser place à l’autre. Et ce mouvement n’est pas autre chose qu’entrer dans le silence. Entrer dans le silence intérieur. Entrer et faire silence autour de moi. Entrer et faire silence en moi. Entrer dans le silence intérieur. Une parole qui tombe sur du bruit glisse. Une parole qui tombe dans un silence résonne. Entrer en moi pour habiter mon corps, mon être, pour mettre mes sens en éveil. Entrer en moi pour me réunifier. Entrer en moi pour décider de tourner tout mon être vers l’autre. Entrer en moi pour être à l’écoute de moi et à l’écoute de l’autre, pour laisser la parole de l’autre résonner en moi, pour pouvoir accueillir sa parole. Décider de passer de mes préoccupations à celles de l’autre, faire un véritable mouvement de conversion pour tourner mon être de « moi » vers « l’autre ». Pour cela, je dois entrer en moi-même, cesser l’agitation extérieure et intérieure, pour faire le vide, et laisser la place à l’autre. C’est le silence qui permet ce mouvement. Pour nous qui « faisons de l’écoute », nous avons besoin de ce passage de silence pour faire de l’espace en nous, pour nous réunifier, pour revenir à notre être profond afin de nous diriger vers l’autre, et être disponible pour lui. Mais nous avons besoin aussi de ce silence pour rentrer dans l’écoute de nous-mêmes. Car l’autre va nous renvoyer des choses, et nous avons besoin d’être attentifs à ce que nous vivons intérieurement pour savoir ce que ça provoque en nous. Alors nous pouvons conduire l’écoute sans être esclave de ce qui se passe en nous, mais en nous servant de ce qui se passe ne nous, pour faire avancer l’autre.
Le silence, à l’écoute de l’autre
Le silence, lieu de la Rencontre.
Michèle n’a jamais parlé, et ne parlera sûrement jamais. Elle communique par les gestes, le visage, le regard, les cris. Et c’est dans le silence qu’on entre en communion avec elle. Elle qui ne parle pas, c’est dans le silence qu’on la rejoint. « Pas de parole dans ce récit », pas de mot dans cette histoire, pas de mot pour la dire non plus. Michèle ne parlera pas plus au bout d’un long silence. Mais pour l’écouter, il faut entrer dans le silence. Ces moments sont magiques pour moi, moments volés dans une journée, à l’improviste, minutes de silence entre nous deux, où nos deux êtres se rejoignent, par delà les mots. Instants de communion, de contemplation. Michèle contemple et se laisse contempler. Michèle s’est laissée rencontrer. Mystère d’une rencontre, une rencontre sans parole, sans mot. Mais le silence n’est-il pas le lieu de la rencontre ? Dans nos foyers qui accueillent des personnes polyhandicapées, le silence prend une place très importante. La plupart de ces personnes n’ont pas la parole pour s’exprimer, alors le silence est encore plus important pour les écouter, pour les rejoindre. C’est le silence dans l’accompagnement des gestes quotidiens, pendant le bain, les toilettes, la prière. J’ai remarqué que c’est lorsque nous faisons silence que nous pouvons rejoindre le mieux ces personnes. Nous sommes alors sur un même pied d’égalité. Lorsque le repas se passe en silence, ces personnes qui n’ont pas la parole semblent plus à l’aise, et pour nous qui les accompagnons, nous sommes plus disposés à les écouter, à les regarder, à être attentifs à elles. Pour moi, ces expériences que nous faisons plusieurs fois par jour, sont vraiment des rencontres. C’est quand je me tais, que je peux vraiment regarder l’autre et chercher à comprendre ce qu’il vit, ce dont il a besoin. Ces zones de silences sont pour moi vitales pour ne pas vivre à côté de l’autre, mais vraiment vivre ensemble le moment présent. Pour ne pas donner le repas à l’autre, mais pour vivre vraiment ce repas ensemble, quitte à ce qu’il me fasse vivre un moment difficile avec lui ; mais c’est le risque à payer pour vivre ensemble, pour vivre l’aventure de la rencontre avec l’autre. C’est le silence qui permet d’entrer véritablement dans l’écoute de l’autre, qui rend possible la rencontre de l’autre. Car lorsque j’entre dans le silence, j’entre à l’écoute de moi-même, mais aussi à l’écoute de l’autre qui est devant moi. Je m’interroge sur ce qu’il vit, je me tourne vers lui, je veux le rejoindre. Alors je suis disposée à le rencontrer. Cette expérience est importante dans la relation d’écoute, pour entrer véritablement dans l’écoute de l’autre, pour recevoir tout son être, et pour pouvoir le rejoindre dans ce qu’il vit. Oui, le silence est le lieu de la rencontre de l’autre. Car c’est le silence qui permet de recevoir la parole, et qui conduit à la communion des êtres.
Le silence, à l’écoute de Dieu
Le silence, Présence de Dieu.
Entrer dans le silence d’une église. Entrer et se laisser pénétrer. Entrer et se laisser emmener, comme une barque emportée par le vent. Avance en eaux profondes. Le silence nous emmène là où nous ne voudrions pas forcément aller. Entrer et se laisser emporter par ce silence. Entrer et pénétrer dans l’inconnu. Entrer et se laisser rencontrer par l’Inconnu. Il est là, de toute éternité, Celui qui nous a créés ; dans ce silence qui nous désarme. Sans arme, sans parole, sans geste. Rien pour masquer ma nudité, rien pour masquer la sienne. Dieu se laisse rencontrer, par qui veut le rencontrer. Je suis nue devant lui, comme Il est nu devant moi. Tout mon être est pris dans cet effroi. Tout son être est là pour se donner à moi. Le silence est le lieu où je peux rejoindre Dieu, lieu où Dieu se laisse rejoindre. C’est par le silence que j’entre en communion avec Lui. C’est par le silence que je me laisse habiter par Lui. C’est par le silence que je communie à Lui. Car le silence est le lieu de sa Présence. Alors, quand j’écoute une personne, quand je fais cette démarche d’entrer dans ce silence intérieur, je fais place à la Présence de Dieu. J’entre dans cette Présence qui vient nourrir cette relation et la sublimer. Alors, je sais que j’offre à la personne que j’écoute le plus beau cadeau que je puisse lui faire. Car alors je laisse sa place à Dieu dans cette écoute. Ce n’est plus moi seule qui écoute cette personne, mais c’est Dieu avec moi qui vient accueillir ce qu’elle veut déposer. Je deviens l’oreille humaine de son Cœur. C’est toute l’expérience que nous pouvons faire lors des écoutes à SOS Prière. Seuls devant le Tabernacle, nous sommes bien démunis face à la souffrance des personnes qui nous appellent. Nous ne pouvons pas les aider par nous-mêmes, seulement les écouter et prier avec eux. Tout ce que nous entendons, nous le déposons immédiatement devant Jésus présent devant nous. Lui seul peut aider les personnes qui appellent. Lui seul peut les soulager, les rejoindre dans leur épreuve. Nous ne sommes que les réceptacles de leurs mots, l’oreille de Dieu, et parfois sa bouche, quand il nous inspire une Parole pour elles. J’ai parfois envie de tendre directement le combiné du téléphone à Dieu, ça serait plus simple ! Mais non, Dieu a besoin de moi, pour transmettre sa tendresse aux hommes. Dieu a besoin de moi, pour écouter et consoler ses enfants. Oui, dans une relation d’écoute, le silence nous amène aussi à entrer à l’écoute de Dieu. Entrer en relation avec lui, et laisser sa Présence habiter cette écoute. Alors je peux entrer dans une écoute plus profonde de l’autre. Alors l’écoute peut devenir Trinitaire : à l’écoute de moi-même, à l’écoute de l’autre, à l’écoute de Dieu lui-même. Ecoute des trois personnes. Présence des trois personnes. Communion des trois personnes. Alors l’écoute devient pleine et entière.
Le silence est un moyen, pas une fin
Travailler sur le silence m’a permis de faire un cheminement intérieur en venant interroger ce qu’est le silence pour moi, comment il se manifeste, quelles en ont été mes expériences, mais aussi ce que je recherche par le silence. Et l’un des fruits de ce travail fut de m’apercevoir que le silence n’est pas un but en soi ! En effet, l’expérience m’a montré que lorsque je rêve de silence, que je suis en quête de silence, et que je cherche à le vivre en croyant à un but en soi, je ne tombe que sur du vide, qui me renvoie à moi-même, et je suis déçue. Car le silence n’est pas une fin, mais un moyen. Et l’on se trompe, quand on prend un moyen pour une fin, on recherche quelque chose qui n’est pas une finalité, qui n’est pas un but, et qui ne nourrit pas. Quand je prends le silence pour une fin en soi, pour une chose que je veux vivre en soi, je me trompe. Car le silence n’est qu’un moyen pour accéder à autre chose, à quelque chose de plus grand. Il n’est qu’une passerelle pour atteindre autre chose. La passerelle n’est pas une destination, on ne la prend que pour aller là où elle conduit. Ainsi en est-il du silence, il n’est à rechercher que pour ce à quoi il conduit. Et c’est sur cette destination-là qu’il faut se centrer. Le silence peut produire un apaisement, mais ça n’est pas encore la destination de cette passerelle, c’est juste l’effet qu’elle produit. Ce que nous avons pu découvrir au fil de cette réflexion, c’est que le silence conduit à l’écoute de l’autre, que cet autre soit moi-même, la personne devant moi, ou Dieu lui-même. Alors il a vraiment toute sa place dans la relation d’écoute. Il est premier pour écouter l’autre, et le rejoindre, pour laisser place à la parole. Oui, revenons au silence de tout notre être, pour recevoir pleinement la parole de l’autre. Revenons au silence pour entrer dans la pleine écoute de l’autre.
Bonne aventure à tous !
C. de Roffignac
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